L’indémodable savon ancestral et authentique

Le savon fait partie pour moi ces produits intemporels longtemps oublié, il revient à la mode grâce aux tendances des cosmétiques solides. Le savon est connu et reconnu pour son efficacité à nettoyer et pour traiter des problèmes de peau en fonction des propriétés des huiles utilisées. Il est apprécié pour son aspect :
- zéro déchet, ne nécessitant pas d’emballage
- écologique parce qu’il est biodégradable
Je vous propose de plonger ensemble dans le monde du savon pour explorer ses bienfaits sur notre peau et les aspects techniques qui le constituent. Dans cet article je traiterai particulièrement les savons solides.
SOMMAIRE
- Un peu d’histoire
- Le savon et la saponification
- Les process de fabrication
- Comment distinguer les différents savons
- Des labels pour se repérer
- Les propriétés du savon en fonction des corps gras
- Faire soi-même son savon
1. UN PEU D’HISTOIRE
Les 1ère traces manuscrites sur la fabrication du savon remontent à environ 3000 ans avant J-C, sur une tablette sumérienne, dans la région de Babylone. Les sumériens évoquent la fabrication de pâte de savon composée d’eau, de base forte et d’huile de cassia. La pâte a pour usage le savon pour la lessive.
C’est vers 1500 ans avant J-C que les Egyptiens utilisaient le savon comme produit d’hygiène pour traiter des problèmes de peau sous prescriptions médicales. La composition du savon était un mélange de graisse animale, d’huiles végétales et de trona, un minéral dont la composition est proche de la soude. A partir du IIème siècle, les Romains font rentrer le savon dans leur usage quotidien pour l’hygiène corporelle.
Les Arabes ont mis en place une formule composée de soude à base de cendres de plantes maritimes et de corps gras, afin d’obtenir des savons plus durs et plus fermes. L’industrie du savon gagne peu à peu la côte méditerranéenne allant de l’Espagne jusqu’à Marseille. C’est ainsi qu’est né le savon de Marseille.
2. LE SAVON ET LA SAPONIFICATION
Le savon est un produit à part entière dont le process de fabrication est complètement différent des cosmétiques solides actuels, tels que le shampoing solide, démaquillant solide, dentifrice solide, barre de massage corporel. Ces derniers sont fabriqués par simple mélange, tandis que le savon est issu d’une réaction chimique qu’on appelle la saponification. C’est une réaction exothermique, c’est-à-dire qu’elle dégage naturellement de la chaleur, entre un corps gras et une base forte telle que la soude. Il se forme ainsi de la glycérine et du savon. Techniquement le corps gras peut être des huiles végétales ou de la graisse animale, car ils sont constitués de triglycérides. Les savons issus de la graisse animale sont de moins en moins répandus sur le marché français.
Le tableau ci-dessous résume la réaction de saponification entre le corps gras et la soude. La saponification est une réaction totale, c’est-à-dire que dans les bonnes proportions toute la soude est entièrement consommée. Il n’y a plus la présence de soude dans le savon.

Le savon est un ion carboxylate, il fait partie de la famille des tensioactifs ayant des propriétés nettoyantes. Les tensioactifs ont des propriétés amphiphiles, c’est une molécule qui a à la fois une bonne affinité avec l’eau (« tête » hydrophile) et à la fois une bonne affinité avec les corps gras (chaîne carbonée hydrophobe). Le schéma ci-dessous illustre de manière simplifiée une molécule de savon.

La chaîne carbonée par son affinité avec le corps gras s’accroche sur les salissures. Grâce à l’affinité entre le groupe hydrophile et l’eau, le savon détache la salissure par simple rinçage. Pour aller plus loin sur le rôle du savon sur la salissure : https://ecolefrancaisedesavonnerie.fr/pourquoi-le-savon-lave-t-il/. L’ion carboxylate est une molécule biodégradable.
La glycérine formée permet d’adoucir la peau et rend le savon moins agressif au lavage. La proportion de glycérine formée peut atteindre jusqu’à 9%, lorsque le savon est fabriqué à froid.
Le savon est dit surgras lorsque les corps gras se trouvent en excès. Le surgraissage est obligatoire pour s’assurer que la soude soit complètement réduite. En fonction des huiles utilisées le savonnier détermine en amont les proportions exactes à incorporer en début de fabrication afin de s’assurer d’avoir à la fin un savon surgras. Pour augmenter le surgraissage le savonnier peut également ajouter des huiles végétales en plus, notamment des huiles fragiles pour apporter des propriétés supplémentaires au savon. Le surgraissage peut atteindre au total 8% à 9%. En plus de la glycérine, le surgras en huiles végétales réduit l’irritation et le côté desséchant du savon.
La conservation
Le savon est alcalin, il a donc un pH basique, entre 8 et 9. Il peut se conserver très longtemps, dans un endroit sec et à l’abris de la lumière. Une astuce pour conserver votre savon : mettez-les dans des linges propres pour les parfumer naturellement.
3. LES PROCESS DE FABRICATION
Le process de fabrication d’un savon peut se faire à chaud ou à froid.
La fabrication à froid ou plutôt à température ambiante est un process lent et nécessite 1 à 2 mois pour que l’intégralité de la soude soit transformée. Concrètement, il faut attendre cette période pour pouvoir consommer le savon. Cette méthode permet de conserver naturellement la glycérine dans le savon et le surgraissage volontaire des huiles végétales qui se situe entre 5 % et 7%. Cette méthode ne permet pas un rendement important à l’échelle industrielle, mais elle est bien moins énergivore que le process à chaud, donc plus respectueux de l’environnement.
La fabrication à chaud ou précisément la méthode au chaudron est une méthode ancestrale utilisée pour fabriquer à l’origine du savon d’Alep et du savon de Marseille. Cette méthode permet d’accélérer la réaction de saponification et est donc très rentable pour une production industrielle. Cette méthode nécessite plusieurs étapes de fabrication et de nettoyage. Elle nécessite une consommation d’eau très importante. De ce fait elle sépare en même temps la glycérine et les insaponifiables du savon. C’est ce qui explique le côté desséchant du savon fabriqué au chaudron. Cette méthode est plus énergivore puisque le mélange est chauffé tout au long du processus de fabrication, entre 80°C et 120°C.
Une autre méthode plus moderne appelée la méthode continue, a été développée afin d’augmenter la performance du process de fabrication à chaud. Avec des équipements plus sophistiqués, elle permet de réduire le temps de la fabrication par rapport à la méthode au chaudron, et de maîtriser la qualité du savon. Les eaux de lavage sont recyclées et la chaleur dégagée par la réaction est réutilisée.
L’extrusion est une technique utilisée pour personnaliser un savon à partir de bondillons de savon qui se présentent sous forme de gros granulés et en le mélangeant avec d’autres additifs comme les parfums, les colorants et autres actifs. Les bondillons de savon et les additifs sont mélangés à froid pour ne pas dégrader le savon. Le mélange est extrudé et ensuite moulé. Cette méthode n’interfère en rien sur la qualité du savon si la formule est bien conçue, et si l’origine des bondillons du savon est contrôlée. Du point de vue écologique, l’incohérence réside surtout dans l’emploi des bondillons de savon de provenance douteuse. En plus des étapes de fabrication à chaud, la méthode nécessite une dizaine d’étapes de fabrication supplémentaires avant d’arriver au produit final.
4. COMMENT DISTINGUER LES DIFFERENTS SAVONS
Il est possible de distinguer les savons issus des 3 procédés utilisés en fonction de leur aspect visuel et à partir de la liste des ingrédients.
Le savon artisanal saponifié à froid

Aspect visuel : mat
Forme du savon : les coupes et les formes sont souvent irrégulières. Certains artisans laissent exprimer leur créativité en donnant des formes fantaisistes avec des jeux de couleurs intéressants. La technique du marbrage est d’ailleurs très utilisée (voir la photo principale de l’article).
Le savon saponifié à chaud : méthode au chaudron

Aspect visuel : lisse
Forme du savon : la forme est souvent carrée ou rectangulaire, avec également des coupes plus ou moins nettes. La méthode au chaudron est particulièrement utilisée pour réaliser les savons d’Alep et de Marseille (voir photo à gauche).
Il est possible de codifier les savons de 2 manières :
- soit en citant les ingrédients utilisés en début de réaction (cas 2).
- soit en citant les ingrédients formés après la saponification (cas 1). Cette codification permet ainsi de mettre en avant la présence de glycérine formée dans des savons saponifiés à froid. A mon sens elle est plus valorisante que la première codification et permet de distinguer précisément les huiles saponifiées des huiles ajoutées en surgras.
Cas 1 codification INCI | Cas 2 codification INCI |
Sodium ***ate Aqua Glycerin Autres ingrédients (parfum, pigments, actifs…) | *** oil Aqua Sodium hydroxide Autres ingrédients (parfum, pigments, actifs…) |
Exemple Savon pour bébé | Exemple Savon pour visage/corps |
Sodium olivate Sodium cocoate Sodium shea butterate Aqua Glycerin Sodium rapeseedate Prunus amygdalus dulcis oil | Butyrospermum parkii butter Aqua Cocos nucifera oil Sodium hydroxyde Borrago officinalis seed oil Pelargonium graveolens oil Citronellol Geraniol Limonene Linalol Citrol (Allergènes naturellement présent dans l’huile essentielle) |
Le savon extrudé

Aspect visuel : lisse
Forme du savon : ils peuvent être sous différentes formes : ronde, galet, carré, avec des motifs plus ou moins complexes… Les formes et les tailles sont très variées. Cette technique est largement utilisée à l’échelle industrielle. Elle a pour avantage de personnaliser le savon, notamment lorsque la marque souhaite décliner une large gamme de savons en plusieurs parfums et couleurs.
Composition type sur l’emballage :
Sodium ***ate, Aqua Glycerin Sodium chloride Autres additifs et ingrédients d’origine synthétique (pour la version conventionnelle) Autres ingrédients d’origine naturelle (pour la version bio par exemple) |
Exemple Savon extrudé conventionnel |
Sodium palmate Sodium palm kernelate Aqua Glycerin Parfum Citrus aurantium Amara flower extract Sodium chloride Tetrasodium etidronate Tetrasodium EDTA Citric acid Sodium benzoate Potassium sorbate Linalool Hexyl cinnamal Limonene CI 77891 |
Les bondillons de savons utilisés sont souvent fabriqués à partir d’huile de palme et d’huile de coprah pour leur faible coût. A l’échelle industrielle, ces huiles s’approvisionnent facilement et présentent également des propriétés intéressantes dans la conception du savon (voir la partie 5).
Le process de fabrication n’est pas l’unique facteur influençant sur la qualité d’un savon. Les savons fabriqués avec les 3 méthodes peuvent être certifiés bio, du moment qu’ils répondent au cahier des charges de l’organisme certificateur. L’efficacité et la qualité sensorielle d’un savon dépendent également de sa composition et de la qualité des matières premières. Le problème se pose surtout par rapport à l’impact écologique. Du point de vue énergétique, le process de fabrication des savons à chaud et extrudés est plus énergivore par rapport au savon saponifié à froid. De même l’utilisation à l’échelle industrielle de l’huile de palme participe à la déforestation en Asie du Sud-Est. Selon la source de Greenpeace, la filière cosmétique consomme 19% d’huile de palme par rapport à l’échelle mondiale. Un point de vigilance qu’il faut faire attention également concernant l’huile de coco, qui est vue comme une alternative à l’huile de palme et dont on fait de plus en plus d’éloges. Cela ne signifie pas qu’il faut boycotter les savons contenant de l’huile de palme et de l’huile de coco, mais plutôt de vérifier et de mieux contrôler la provenance de ces huiles, et de privilégier des huiles issues de l’agriculture biologique ou résonnée et du commerce équitable.
5. DES LABELS POUR SE REPERER
Il n’est pas toujours évident de se repérer lorsqu’on ne maîtrise pas le langage technique et parfois il n’est pas évident d’identifier visuellement les savons. Et comment savoir si les ingrédients d’origine naturelle ont été correctement sourcés ? Vous pouvez vous appuyer sur les principaux labels existants en France.
« Nature et Progrès » est le label le plus exigeant et le plus transparent des labels bio. C’est également le plus ancien des labels bio. Ce label garantit des produits sains, qui contribuent à préserver la planète et qui respectent l’individu. Tous les ingrédients d’origine végétale doivent être issus de l’agriculture biologique. Aucun additif ou conservateur d’origine synthétique n’est autorisé. Cependant ce label ne garantit pas le process de fabrication du savon à froid. En général le savonnier le spécifie directement sur l’emballage ou l’étiquette avec la mention « savon saponifié à froid ».
Comment reconnaître le label : https://www.natureetprogres.org/la-charte-2-2/
« Cosmebio » est un label qui s’appuie sur les chartres de « Nature et Progrès » avec moins d’exigences. Il garantit que le produit contient 95% d’ingrédients d’origine naturelle et contient au minimum entre 10% et 20% d’ingrédients issus de l’agriculture biologique. Le label autorise au maximum 5% d’ingrédients d’origine synthétique.
Comment reconnaître les labels : https://www.cosmebio.org/fr/le-label/
« Saponification à froid » ou « S.A.F », ce label a été créé par des savonniers pour garantir le process de fabrication à froid. Il ne garantit pas la provenance des ingrédients utilisés. Les savons fabriqués à froid ne portent pas systématiquement ce label.
Comment reconnaître le label : https://saponification.org/logo-saf/
6. LES PROPRIETES DES SAVONS EN FONCTION DES CORPS GRAS
Le tableau ci-dessous donne la liste des huiles et beurres végétales les plus utilisées pour réaliser les savons. Seuls les savons saponifiés à froid et issue des huiles végétales vierges contiennent des insaponifiables, c’est-à-dire des actifs naturellement contenus dans les corps gras.

D’autres huiles végétales sont également utilisées pour la fabrication du savon pour leurs propriétés adoucissantes sur la peau, notamment : l’amande douce, le chanvre, la bourrache, la nigelle et le tamanu. En raison de leurs fortes teneurs en acide gras poly-insaturé, ces huiles sont surtout utilisées en surgras dans les savons. D’une part, elles donnent des savons mous. D’autres parts, les acides gras poly-insaturés sont très sensibles à l’oxydation et se dégradent donc facilement à la chaleur.
7. FAIRE SOI-MEME SON SAVON
Il est possible de faire soi-même son savon. Cela peut être une activité ludique et un moyen de contrôler les provenances des ingrédients. Il y a des notions à connaître et à maîtriser avant de vous lancer dans la réalisation d’un savon :
- Les bonnes pratiques de fabrication
- Connaissance en chimie sur les structures moléculaires
- La saponification
- L’indice de saponification
- Les règles de calcul de produit en croix
Le mieux est de faire une formation de quelques jours dans des organismes certifiés ou avec des experts en savonnerie. Ils vont vous donner des bases nécessaires et vous apprendre les bons gestes à adopter.
En plus de 10 ans de carrière dans la cosmétique, j’ai vu des tendances et des produits naître et disparaître. Mais le savon a su traverser le temps et n’a pas pris une « ride ». Sa place est dorénavant plus importante sur le marché suite à l’apparition de la Covid-19 et du fait que les problèmes environnementaux sont au cœur de nos préoccupations.
Pour aller plus loin
ecolefrancaisedesavonnerie.fr
savons-arthur.bio
www.mediachimie.org
www.sauvonslaforet.org
www.greenpeace.fr